vendredi 23 mars 2012

Quand le langage dérape


Texte de Nathalie Martinez

Le berceau devient prison
Et soudain les mots jaillirent. L'adolescent parle comme la musique qu'il écoute : le plus souvent fort, avec agressivité et un certain talent à utiliser le mot qui blesse et qui produit du désordre. Il y a comme un désir de détruire sa cage dorée d'amour et de bienveillance. Il ne veut plus que sa mère/son père en soit le gardien. Il veut s'envoler même si pour cela il doit attaquer à coups de dents les murs de ce qui est devenu sa prison.

La seule certitude : ne pas ressembler aux parents
L'adolescent en crise se réclame d'un autre langage : celui qu'il partage avec ses amis, ceux avec lesquels il veut passer toutes ses journées voire ses nuits. Il ne veut plus parler celui de ses parents qui transpire de raison, d'obéissance et de bienséance. Un langage de vieux. Il veut montrer combien désormais il est autre, différent, combien il appartient au nouveau monde, celui de la jeunesse qui s'ouvre devant lui. Son langage c'est aussi ses gestes, ceux qu'ils empruntent à ceux de son clan, son habillement, ses tatouages et/ou piercings, sa façon de boire et de manger. Plus il se sent menacé (à chacun sa peur), plus il semble multiplier les accessoires comme si à lui seul il ne pouvait exister. On dirait qu'il ne sait pas qui il est ni qui il veut devenir. Sa seule "certitude" : être différent de ses parents.

Quand la maison devient un champ de bataille
Les grossièretés au téléphone avec ses copains, devant l'ordinateur quand il joue ou avec sa sœur/frère quand il se dispute ou bien encore celles qu'il étouffe à moitié quand il claque la porte transforment la maison en un champ de bataille : les mots ne sont plus à leur place, l'harmonie s'est enfuie et le chaos est entré dans la maison. Un mot amène avec lui tout son univers quand il est habité. Les parents regardent avec désolation leur œuvre s'autodétruire : plus rien n'est à sa place.

Renoncer à tout contrôler
Même s'il existe des tonnes de livres sur les adolescents, des analyses brillantes, finalement il n'y a aucune "recette". Chaque parent est (seul) face à son ado et il lui revient de trouver à tâtons ce qui permettra de minimiser la casse :

- dans la vie de l'adolescent (limiter les expériences dangereuses)
- dans la vie de la famille (les frères et soeurs trinquent aussi)
- dans le couple (éviter l'explosion)

Une chose est sure : si les parents craquent c'est tout l'édifice qui risque de s'écrouler. Donc priorité au moral des parents (se faire du bien, ne pas trop culpabiliser, garder un espace pour soi et pour son couple...). Pas facile mais pourtant très stratégique.


lundi 19 mars 2012

La chambre d'ado cet enfer



Texte de Nathalie Martinez

S'il existe une phrase qui me semble juste c'est celle qui affirme que les adolescents cherchent à tester les limites de leurs parents. La chambre à coucher en est une superbe illustration. 

Transgresser pour s'affirmer
Il est vrai qu'il existe des adolescents soigneux, ordonnés, rangés ou soucieux de faire plaisir à leurs parents. Ils ne sont pas pour autant dépressifs, mals dans leur peau ou autre. Ils font partie des adolescents qui traversent la vie sans trop de difficultés (et il y en a beaucoup). D'autres sont peut-être de ceux qui savent que le risque encouru pour la transgression (la famille éclatée, coups reçus, perte de l'amour, du soutien...) est bien plus grave que celui de ne pas s'affirmer.

Dresser des barricades
La chambre d'un ado est une sorte de camp retranché.  On n'y rentre pas avec facilité. Le nombre d'obstacles à traverser est à la hauteur de la menace d'ingérence ressentie par l'ado. Plus la chambre est chaotique, plus l'enfant dit : "foutez-moi la paix". Moins vous comprendrez et plus il entassera ce qui est sûr de vous repousser. Il étalera son intimité (la culotte chez la fille, le gel intime pour le garçon...) pour bien vous faire comprendre que c'est à vos risques et périls que vous entrez dans cette zone. Il est fort probable que vous y perdiez vos illusions : il vous aura prévenu.

Ne livrer aucune info
La deuxième stratégie de l'ado pour vous éloigner est tout le contraire : une chambre sans rien à l'intérieur. Il détruira systématiquement toutes les traces de ses activités pour que vous n’ayez aucune informations à son sujet. Il veut devenir un autre, couper le lien, ne vous laisser aucune prise. En vous ôtant même la possibilité de critiquer son rangement, il gagne en liberté.

Héberger un inconnu
Il faut vraiment une période d'adaptation au parent pour accepter qu'il n'est plus maître chez lui. Désormais il abrite au mieux un étranger bien élevé, au pire un inconnu sans gêne. Rien ne sert de répéter les règles, elles ne seront que très peu suivies puisqu'elles n'ont aucun sens pour l'adolescent qui ne rêve la plupart du temps que d'être libre. Plus on menace, plus on nourrit le discours de l'ado qui nous trouvent insupportable. L'évidence s'impose : on ne peut pas le mettre dehors. Il faudra donc apprendre à composer et peut-être devenir celui qui composera le plus.


Accepter de lui céder sa chambre
Rapidement l'ambiance est de plus en plus tendue car l'ado est un adulte en puissance, avec ses exigences (fumer dans sa chambre, ne pas ouvrir la fenêtre, faire un élevage de rats, uriner dans une bouteille...), ses points de vue (rien n'est logique, ça ne sert à rien...), ses besoins (ciné, resto, baskets dernier cri...) mais aucun moyens de les combler dans une société où sans argent il est difficile de suivre. La seule solution est de lui permettre d'avoir un espace à lui loin de nous (internat exclusivement s'il est d'accord) ou de renoncer à entrer dans sa chambre (accepter qu'il ferme à clef). Il fera donc nuit toute la journée au bout du couloir, vous ne pourrez plus aérer mais chacun aura gagner un peu de paix et de liberté.